La crise de la culture, Hannah Arendt (Manon)

Publié le par Manon

La crise de la culture, Hannah Arendt

Chapitre VI : La crise de la culture. Sa portée sociale et politique

Présentation de l’auteur

Hannah Arendt est née en 1906 à Hanovre en Allemagne. De religion juive, elle fuit son pays à l’arrivée du nazisme. Elle s’installe en Europe puis aux Etats-Unis où elle obtient la nationalité. Elle meurt à l’âge de 69 ans à New-York. Philosophe inclassable, elle se désigne plutôt come professeur de théorie politique. Très connue pour son travail sur le totalitarisme avec notamment Les origines du totalitarisme en 1951 et Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal 10 ans plus tard, ses réflexions ont été très controversées à leurs sorties, comme en témoigne le film biographique réalisé en 2013. Dans son ouvrage La condition de l’homme moderne, elle décrit un retournement de la modernité à travers la conception hiérarchique : travail, œuvre, action. Elle critique l’essor de la société de masse et de consommation en dépit de l’action publique destiné à la durabilité.

Son œuvre La crise de la culture (titre original : Between Past and Future) a été publié en 1961 puis rééditée et traduite en français en 1968. Elle est composée de 8 essais complétés par une importante préface.

Résumé

Dans cet essai, l’auteur décrit l’apparition d’une culture de masse, c’est-à-dire, la transformation de l’objet culturel en loisir. Dans la société moderne, les hommes, libérés du dur travail, ont plus de temps pour les loisirs. Or ce temps n’est plus utilisé pour se perfectionner ou pour acquérir une meilleure position sociale mais pour consommer de plus en plus et se divertir de plus en plus. Et comme il n’y a plus assez de biens de consommation pour satisfaire ces besoins, ce loisir de masse se nourrit des objets culturels. Le surgissement de la culture de masse est à mettre en lien avec le problème du rapport entre société et culture : l’art moderne est né d’une rébellion de l’artiste contre la société. Le dernier individu à demeurer dans une société de masse semble l’artiste.

Elle critique l’arrivée d’un philistin (terme d’origine allemande désignant un bourgeois) qui s’approprie les objets d’art comme le signe d’un statut social. Les objets culturels deviennent des objets de consommation et doivent donc être renouvelés dans cesse, détruisant ainsi leur caractère durable et symbolique d’une époque. En Europe règne un certain snobisme de la culture : on vise à être suffisamment éduqué pour apprécier la culture et, de la sorte, accéder à une certaine position sociale. En Amérique, ce rapport entre culture et société est meilleur car il n’existe pas ce philistin culturel et cultivé qui saisit les valeurs culturelles comme valeurs d’échange.

L’art est utilité à des fins secondes : éducations, savoir, statut social, perfection personnelle… alors qu’il devrait simplement permettre de ravir et d’émouvoir au fil des siècles. Il existe une conflictualité entre ceux qui aiment les belles choses et ceux qui les font, car la production de l’art implique des moyens (matèriaux, outils, personnes) aboutissant à une fin et donc les fabricants jugent les choses selon leur utilité.

Pour mieux déterminer le comportement à adopter face à cette société de consommation, Hannah Arendt explique les liens et les oppositions entre politique et art : les fabricants et artistes manifestent leur hostilité contre les hommes d’action et doivent s’isoler de la présence d’autrui pour créer de nouvelles choses. A l’inverse, les activités politiques ne peuvent se passer de la présence d’autrui. Mais les produits de ces deux activités ont tous deux besoin d’espace public pour être vus. Ces espaces qui permettent à l’art d’apparaitre et ainsi de caractériser notre culture sont rendus sûrs par les hommes d’actions. Donc art et politique sont dépendants car sans la beauté, toute vie humaine serait futile. L’auteur s’appuie aussi sur l’ouvrage de Kant, Critique de la faculté de juger, pour définit la notion de goût et son application dans la société. La faculté de juger nécessite d’être en accord avec soi-même mais aussi d’être potentiellement en accord avec autrui. Nos opinions doivent pouvoir être soutenues en public. Le goût n’est donc pas un sentiment privé et est donc soumis à la discussion et à la persuasion. Le goût permet de s’approprier le monde de façon personnelle et doit donc primer sur la vérité pour affirmer notre liberté. La meilleure façon d’être cultivé n’est pas de s’intéresser à l’art comme un objet de consommation ou de savoir mais d’être capable de jugement.

Notions philosophiques abordées

La politique ; la culture ; l’art ; la beauté ; la vérité ; le temps ; l’action.

Problèmes philosophiques

Qu’est-ce que la culture ? Qu’est-ce que le philistinisme ? Comment se définit l’industrie des loisirs actuelle ? Comment se comporter face à cette culture de masse ? Quelles sont les différences entre société et société de masse ? Comme la culture est en contradiction avec la notion de loisirs ? Quelle est la place de l’art dans la société ?

Thèses de l’auteur et arguments

Comment la culture est en contradiction avec la notion de loisir ?

Les objets culturels ne sont pas créés pour les hommes mais pour le monde alors que les loisirs appartiennent au processus vital de la société.

La société de masse ne veut pas la culture mais les loisirs. Les loisirs, tout comme le travail et le sommeil font irrévocablement partie du processus biologique de la vie. Les produits nécessaires aux loisirs servent le processus vital de la société. Ils servent à passer le temps qui reste après le travail et le sommeil. Dans cette culture de masse, les œuvres sont privatisées, achetées et revendues, perdant ainsi le pouvoir d’arrêter notre attention et de nous émouvoir et d’apparaître justement pour le monde et non pour les hommes.

Les objets culturels ont nécessairement un caractère de durée.

Les objets culturels sont les seules choses crées pour durer, plus longtemps même que leurs fabricants. Elles représentent une époque, une mentalité de la société et ont toujours le pouvoir d’émerveiller au fil des siècles. Elles possèdent une immortalité potentielle.

L’industrie des loisirs à l’inverse produit ses propres biens de consommation, faits pour être utilisés, usés et jetés. Ainsi, l’industrie des loisirs crée de la « culture » périssable perdant sa définition première.

La culture concerne les objets alors que les loisirs concernent les gens.

La culture de masse apparaît quand la société de masse se saisit des objets culturels et les engloutit et les détruit. Il ne faut pas confondre culture de masse et diffusion de masse. Ce n’est pas la diffusion de masse (reproduire en masse et vendre à bas prix) qui est un problème pour la culture mais c’est quand la nature des œuvres est atteinte et modifiées (réécrits, condensés). Ce n’est ni le nombre ni la diffusion qui les appauvrit. C’est la réécriture, la condensation, la digestion des objets culturels qui les réduits en un état de pacotille. L’accroissement de la diffusion ne signifie pas que la culture se répande dans les masses, mais qu’elle se trouve détruite pour engendrer le loisir. Parce que les objets culturels doivent être préparés pour devenir loisir et être accessible à tous. Le résultat n’est pas une désintégration mais une déchéance.

« Bien de grands auteurs du passé ont survécu à des siècles d’oubli et d’abandon, mais c’est une question pendante de savoir s’ils seront capables de survivre à une version divertissante de ce qu’ils ont à dire. »

La société de masse assimilée à la société de consommation veut nous persuader qu’en modifiant tous les objets culturels, tous se valent. Alors « Hamlet » (tragédie de Shakespeare, 1603) pourrait être aussi divertissant que « my fair lady » (comédie musicale américaine, 1956).

L’art a pour simple but d’apparaître alors que les loisirs doivent satisfaire un besoin.

Les cathédrales, beaux monuments d’une architecture poussée, n’ont jamais été construites pour en faire exclusivement des lieux de culte. Une utilité directe aurait pu être rendue dans n’importe quelle bâtisse. Leur beauté dépasse ces besoins religieux et n’est pas créé pour eux, elle est faire pour durer à travers les siècles. Il faut donc bien établir une frontière importante entre objet d’usage et œuvre d’art. Les œuvres ne sont pas fabriqués pour être utile à la société, ainsi elles ne peuvent être consommées. Et c’est justement quand elles s’éloignent de cette utilité qu’elles deviennent des œuvres d’art.

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